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En septembre 2017, je présentais pour la première fois de manière publique l’état de ma recherche universitaire sur la bande dessinée alternative francophone (1990-2015). Mon copain Sébastien, dessinateur de son état, se tenait là parmi les quelques personnes présentes. En préambule, alors que je réglais les derniers paramètres techniques de la projection, il vint me voir et me dit avoir un cadeau à me faire. Un peu surpris, je souriais par avance car je connaissais le potentiel farceur du personnage. Lui ne se départait pas de son air pince-sans-rire. Le paquet qu’il me tendit, enveloppé de façon brute dans un papier kraft, m’intriguait de plus en plus. Sébastien ne laissait toujours échapper aucun signe d’une blague.

J’ouvris le petit colis : c’était une bouteille d’encre noire.

« Comme tu le sais, me dit-il, je suis ami d’un proche de Tignous. Après les assassinats à Charlie, sa femme et ses amis ont souhaité distribuer le matériel de dessin qu’il avait en réserve pour qu’il soit utile à d’autres dessinateurs. J’ai pensé que tu serais content de recevoir cette bouteille. »

Ma modeste conférence – où j’évoquais la filiation de la bande dessinée contemporaine avec Hara-Kiri, Charlie Mensuel et la création des éditions du Square en 1962 – commençait ainsi sous le coup d’une amicale et puissante émotion.

Tignous, que je connaissais un peu pour l’avoir croisé à la rédaction de Marianne, m’avait, quelques années plus tôt, généreusement donné le contact de son avocat lorsque l’hebdomadaire s’était avisé de me pousser vers la porte avec toute une charrette de pigistes réguliers. Jusqu’à la date tragique de janvier 2015, notre relation était restée sur cet échange, chaleureux et combatif à la fois.

Hier, j’ai mis un peu d’ordre dans mon atelier et dans mes esprits. La bouteille d’encre de Tignous m’attendait. Par pudeur, je l’avais gardée sans oser l’ouvrir et encore moins l’utiliser. N’étant ni fétichiste ni convaincu d’un au-delà, c’était idiot, je le savais, et, de plus, contraire à l’intention de ses proches. Sans réfléchir, je dessinais ma tête : qu’est-ce donc que l’humanité pouvait bien avoir dans le crâne ?

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